L’émergence récurrente de leaderships charismatiques sur le continent africain révèle non seulement la crise structurelle des États postcoloniaux, mais aussi la persistance d’une grammaire politique fondée sur le mythe du sauveur. La récente ascension de figures comme Ibrahim Traoré, au Burkina Faso, ravive cet imaginaire. Pourtant, la question essentielle ne porte pas sur lui, mais sur ce que sa figure symbolise : l’attente persistante que l’histoire africaine trouvera sa rédemption dans des individus exceptionnels.
Ce mythe, bien que mobilisateur, porte en lui de profondes ambiguïtés. Il exprime le refus d’accepter l’ordre établi et la quête d’une souveraineté authentique, tout en cristallisant une fragilité institutionnelle chronique, où l’espoir se dépose dans des hommes providentiels plutôt que dans des structures collectives. L’histoire du continent est riche en exemples : Nkrumah, Senghor, Nyerere, Sankara — des leaders qui, à différents titres, ont projeté des visions panafricanistes d’unité politique, de monnaie commune, et même d’un « État Uni d’Afrique ». Cet idéal, cependant, a succombé face aux résistances internes, à la fragmentation héritée du colonialisme et aux pressions extérieures qui n’admettaient pas une Afrique autonome.
Dans cette perspective, que faut-il attendre des nouvelles incarnations de ce mythe ? L’ascension de Traoré, et celle d’autres leaders contestataires au Sahel, semble indiquer l’épuisement du modèle de dépendance néocoloniale. Le discours souverainiste, le rejet des puissances occidentales et la recherche de nouveaux partenariats stratégiques signalent une tentative de reconfiguration continentale. Mais s’agit-il de l’annonce d’un projet intégrateur capable de dépasser la fragmentation ? Ou seulement d’un nouveau cycle de personnalismes qui, inévitablement, répétera les frustrations du passé ?
Les relations internationales offrent des indices préoccupants : l’Afrique demeure l’objet de rivalités entre puissances mondiales, oscillant entre multiples dépendances. Dans ce contexte, le mythe du sauveur remplit une double fonction : résistance symbolique et piège structurel. Il permet une mobilisation immédiate contre l’ordre établi, mais se traduit rarement par des institutions durables. L’unité africaine reste un horizon, tandis que la politique concrète se fragmente en souverainetés vulnérables.
En définitive, il convient de réaffirmer que le véritable défi n'est pas de trouver de nouveaux sauveurs, mais de transformer l'élan messianique en une architecture institutionnelle capable de soutenir l'intégration continentale. Sinon, l'Afrique continuera à célébrer ses sauveurs et à les enterrer, tandis que la promesse d'une émancipation collective reste reportée.