Avec le soutien de l'Etat et de l'Union européenne, l'archipel peut devenir un véritable centre logistique, de formation, commercial et humanitaire pour nos pays voisins.
Le Sahel - cette vaste bande de terre qui s'étend de l'Atlantique à la mer Rouge et qui englobe des pays comme la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad - représente aujourd'hui l'un des défis les plus complexes et les plus urgents pour l'Afrique, l'Europe et, en particulier, pour les îles Canaries. L'instabilité politique, la crise climatique, la propagation du djihadisme, l'effondrement institutionnel, la pauvreté chronique et les déplacements forcés conduisant à la migration par la mer constituent un scénario qui n'est ni lointain ni étranger, mais profondément lié à notre réalité insulaire. Comme vous le savez, nous avons écrit à ce sujet à d'innombrables reprises ces dernières années.
En outre, récemment, à l'invitation de diverses organisations telles que la Real Sociedad Económica de Amigos del País et le Club Náutico de Santa Cruz de Tenerife, j'ai donné une conférence intitulée "Les îles Canaries doivent se tourner vers le Sahel". J'y ai tenté de synthétiser tous les articles que j'ai écrits sur la région, qui feront partie d'un livre déjà en phase de publication.
Dans ce contexte, le président du gouvernement des Canaries, Fernando Clavijo, a publiquement proposé cette semaine que notre archipel joue un rôle de premier plan dans la politique européenne à l'égard du Sahel. La proposition du président est non seulement pertinente, mais essentielle.
À Casa África, nous plaidons depuis des années pour que le Sahel occupe une place centrale dans l'action extérieure espagnole et européenne. Nous avons promu des séminaires, des publications, des forums diplomatiques et des analyses stratégiques qui insistent sur une idée clé : il est temps de dépasser l'approche exclusivement sécuritaire qui a guidé la relation avec cette région, et de s'engager dans des stratégies globales basées sur le développement humain, la bonne gouvernance, la diplomatie locale et l'écoute active des communautés.
De par leur situation géographique, leur expérience institutionnelle et leur statut de région ultrapériphérique reconnu par l'Union européenne, les îles Canaries ont une opportunité historique de servir de plateforme atlantique entre l'Europe et l'Afrique. Notre insularité, notre proximité avec le continent et notre européanité - comme l'explique à juste titre l'historien Dagauh Komenan - sont des atouts géopolitiques de premier ordre. Nous ne sommes pas une frontière, mais un pont.
La Commission européenne a reconnu à plusieurs reprises la valeur des RUP en tant que "laboratoires de politiques européennes" dans des contextes complexes et en tant que "ponts vers le monde". Dans le cas des îles Canaries, cette vocation va de pair avec l'action d'institutions telles que Casa África, ainsi qu'avec les engagements stratégiques et les approches africaines des gouvernements espagnol et canarien, des conseils insulaires, des différentes mairies et même du secteur universitaire et des entreprises.
Le mois de décembre dernier a été le moment choisi par le président du gouvernement espagnol pour présenter, à Moncloa, la nouvelle stratégie Espagne-Afrique 2025-2028. J'ai eu l'occasion d'assister à la présentation de ce document, qui vise à orienter l'action de l'Espagne sur le continent africain sur la base du principe de partenariat, de respect et de bénéfice mutuels, en étant à l'écoute des partenaires africains et en mettant l'accent sur le multilatéralisme.
Au début de cette année, l'exécutif régional a annoncé à Casa África une Stratégie des Canaries pour l'Afrique (ECA), une déclaration d'intentions qui prend progressivement forme pour renforcer la coopération politique et économique avec les pays africains voisins, positionner les Canaries comme un centre logistique, de formation, scientifique et humanitaire pour les initiatives destinées au continent, promouvoir l'attraction des talents africains et stimuler la mobilité académique et commerciale entre les deux rives et, surtout, renforcer le rôle de l'archipel dans les forums internationaux liés à la migration, au changement climatique, aux énergies renouvelables, à la sécurité alimentaire et à la santé publique. Mardi dernier, nous avons tenu une réunion de travail à Tenerife pour avancer sur des propositions concrètes afin de faire de ces objectifs une réalité. Pour l'heure, les premières conversations montrent une direction porteuse d'espoir, en ligne avec ce que nous demandons depuis plusieurs années, notamment sur le Sahel.
Des programmes canariens tels que Tierra Firme, qui a permis la formation et l'emploi de centaines de jeunes sénégalais grâce à la collaboration canarienne, sont déjà opérationnels et démontrent qu'il existe des formules viables et efficaces de coopération transformatrice. Il ne s'agit pas de charité, mais de coresponsabilité : offrir des alternatives dignes qui génèrent des racines et un avenir chez soi.
Les Canaries disposent de suffisamment de connaissances et de potentiel pour permettre à l'État de mettre en œuvre une véritable politique envers le Sahel à partir de l'archipel : positionner les îles vis-à-vis de nos voisins africains comme un centre logistique, humanitaire, scientifique, de formation et commercial (le pas franchi par la Chambre de Commerce de Las Palmas avec la création du réseau de chambres AFRICO en est un exemple parfait et positif). Tout cela pourrait et devrait apporter un soutien important aux progrès nécessaires dans le développement socio-politique du Sahel, actuellement menacé par une violence excessive.
J'ai toujours été convaincu que nous pouvions transformer les îles Canaries en un laboratoire de politiques innovantes qui favorisent le développement inclusif, le dialogue entre pairs et la mobilité universitaire, professionnelle et commerciale entre les deux rives de l'Atlantique.
Les propositions concrètes qui pourraient donner corps à cette vision sont les suivantes :
- L'autonomisation de Casa África en tant que centre atlantique pour l'Afrique et le Sahel, en améliorant ses ressources afin qu'elle puisse agir en tant que nœud d'analyse, de formation et de coopération entre les acteurs africains, européens et canariens. Les ambassadeurs africains de la région, lors du dernier Conseil Diplomatique qui s'est tenu à Madrid il y a quelques semaines, nous ont demandé des initiatives allant précisément dans ce sens.
- La promotion de l'entrepreneuriat des jeunes et de l'innovation sociale, par le biais d'alliances avec l'écosystème technologique et commercial des îles, dans des secteurs clés tels que l'agroécologie, les énergies renouvelables, la gestion de l'eau et le tourisme durable.
- La formation du capital humain africain aux Canaries, par le biais d'accords avec des organisations régionales telles que la CEDEAO, visant à former de nouvelles élites africaines dans des domaines stratégiques tels que la santé publique, la protection civile, la cybersécurité et la gouvernance. Notre ministère des affaires étrangères a déjà des lignes de collaboration avec la CEDEAO à cet égard, mais il serait intelligent d'utiliser les îles Canaries comme base pour cette formation en collaboration avec nos universités.
- Renforcer la diplomatie locale et municipale, avec des réseaux de coopération entre les conseils municipaux, les conseils de ville et les homologues africains pour travailler sur des questions telles que le changement climatique et les alertes précoces aux phénomènes météorologiques défavorables, la sécurité alimentaire, la participation des citoyens, la planification urbaine et la mobilité des personnes.
- L'institutionnalisation d'un Forum Atlantique Canaries-Sahel, comme espace stable de dialogue politique, économique, social et académique, pour rendre cette région visible dans l'agenda européen et promouvoir des solutions partagées. Cette proposition, par exemple, a été lancée il y a quelques années par un think tank de la région, le Timbuktu Institute, une référence dans l'étude du Sahel.
Ces initiatives ne sont pas de simples aspirations. Elles répondent à une urgence : les flux migratoires qui atteignent nos côtes sont les symptômes visibles d'une région enlisée dans une spirale de violence et d'incertitude. La route de l'Atlantique est devenue la route la plus active et la plus meurtrière vers l'Europe, et le Sahel compte plus de 50% des décès dus au terrorisme dans le monde, selon l'Indice mondial du terrorisme 2024. Nous ne pouvons pas attendre que la crise nous frappe plus durement pour agir.
Il s'agit également d'une question d'équité. En tant que région ultrapériphérique, les îles Canaries remplissent déjà de facto une fonction d'"endiguement" des migrations, sans recevoir proportionnellement l'attention ou les fonds que cette responsabilité exige. La thèse du professeur Komenan l'explique clairement : nos îles doivent être reconnues comme un territoire stratégique et comme un espace d'expérimentation pour de nouvelles politiques de coopération, et pas seulement comme un mur de contention.
Face à un contexte international où l'Europe tourne son regard vers l'Est et relègue le Sud, les Canaries doivent revendiquer une vocation extérieure ferme, engagée et utile. Comme l'a dit à maintes reprises le journaliste José Naranjo, il est temps pour nous de cesser d'être une frontière et de devenir une plate-forme, une connexion, une oreille. Il ne s'agit pas de reprendre les compétences des autres, mais d'exercer un leadership intelligent et solidaire, qui complète la politique étrangère de l'État et contribue à une relation plus juste et plus durable avec nos voisins africains.
Le Sahel n'est pas seulement un défi. C'est aussi une opportunité. Une région plurielle, riche et fascinante où se joue l'avenir du continent africain et, avec lui, celui du monde. Les îles Canaries ont beaucoup à apporter à cet avenir commun. Et c'est maintenant qu'il faut le faire.